TOMBELALUNE

 

"Le Champ des possibles"


[Boubakeur] 07.11.03

 

Interrogé commes les autres religions par le sida, l'Islam porte aujourd'hui un regard différent sur la maladie et ses multiples conséquences psychologiques et sociales. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris, évoque les grandes étapes de l'appréhension de la maladie par les musulmans. Rencontre.

V B : Est-ce que l'Islam est préoccupé par le sida ?

Dalil Boubakeur : Il y a eu une évolution dans la préoccupation de l'Islam face au sida. La maladie est apparue avec brutalité, de manière exceptionnelle. Son mode de contamination étonnait. Beaucoup de fantasmes, de mystères et d'imaginaires ont été projetés à propos de la maladie et de ses porteurs. Il n'y avait vraiment pas de rationnalité dans la démarche. Avec l'évolution, ces présupposés sont tombés, notamment celui que la pandémie ne pouvait toucher les pays musulmans parce que leurs populations avaient une morale trés élevée.

Dans cet imaginaire la contamination présupposait des relations homosexuelles et ne pouvait donc pas concerner les musulmans. Or force est de constater qu'il y a eu et qu'il y a des malades du sida dans les pays musulmans.

Un autre présupposé voulait que le sida soit un signe de malédiction de Dieu devant la dépravation et la toxicomanie. Le sida a été exclu de toutes discussions théologiques car il n'entrait pas, en apparence, dans un mode de vie "normale" qui refuse l'homosexualité, la toxicomanie et la relation hétérosexuelle par adultére.

La contamination par le sang et la contamination foeto-placentaire ont mis à mal cette certitude morale. Le sida pouvait également toucher le croyant qui respectait scrupuleusement les règles.

Aujourd'hui on ne peut plus incriminer un quelconque péché et en appeler à une désobéissance à Dieu. Cette vision sourcilleuse, courroucée et rejetante a laissé place à la prise en compte de cette maladie et de ses malades.

A partir des années 1990, une phase plus rationalisée et plus objectivée de la maladie a encouragé l'Islam à une véritable démarche de réflexion et de recherche médicale sur cette pathologie.

V B : Que recommande l'Islam ?

Dalil Boubakeur : L'Islam considère le VIH sida comme toutes les autres maladies infectieuses : il faut éviter la contamination, la contagion et de ne pas la soigner. La position de l'Islam est que toute maladie vient de Dieu et que Dieu envoi aussi le remède.

Cette attitude positive de l'Islam, qui a abordé la maladie avec lucidité et non sous l'angle de la superstition ou des forces obscures, est aujourd'hui celle des grandes religions.

L'Islam s'est penché sur la multipathologie qui environne le sida. L'agonie et la mort lente renvoient au domaine du palliatif et non plus du curatif. de ce point de vue, les médecins musulmans ont rejoint leurs collègues occidentaux.

La mort est apparue comme un questionnement. La mort n'est plus un accident de parcours mais quelquechose qui nécessite une préparation du médecin et des équipes dédiées aux soins palliatifs. Comment éviter la douleur aux êtres de chair et de sang qui souffrent ? Le traitement par les opiacées, interdit par la religion musulmane posait problème mais, là aussi l'Islam a montré sa tolérance.

Il existe un humanisme musulman qui considère les êtres humains non pour ce qu'ils ont fait, mais pour ce qu'ils sont...

V B : Que fait la communauté musulmane en France, pour éviter l'exclusion ?

Dalil Boubakeur : J'ai connu l'époque héroique de la maladie et notre incapacité totale à y répondre. Le laxisme sexuel des années 1970 avec la pilule, la contraception, etc. a laissé place à ce que les américains appellent le "safer-sex". ce sont les groupes homosexuels, eux-mêmes qui étaient visés et ce sont eux qui ont pris le plus de responsabilité pour contrer la maladie.

Aujourd'hui la contamination du VIH sida est plus maitrisée. Cette espèce de monstre a fait place à un monstre plus calmé mais qui mord toujours et qui est toujours dangereux. Nous avons appris à le contrôler et nous luttons contre son expansion.

Comme pour La Peste, dans le roman d'Albert Camus, on a intégré la maladie du VIH sida dans notre vision sociale. En France, le mal est encore plus terrible. Il s'agit d'un mal social qui a un tropisme fort vers les jeunes.

Dans le groupe de malades du VIH sida, nous avions une idée de prévalence forte des jeunes musulmans, ce qui nous posait beaucoup de questions. Cela venait-il d'une adaptation difficile à la civilisation occidentale, à l'éclatement des traditions protectrices ou à d'autres facteurs plus complexes ? Réponse difficile.

Les jeunes musulmans ont été les derniers à être motivés par cette question. Il y a eu des campagnes nationales sur le sida pour montrer la dangerosité de l'acte sexuel non protégé. Il faut continuer à lutter contre l'ignorance. Les jeunes filles de milieux peu propices à l'information et à l'éducation , notamment en matière de contraception et de prévention, sont plus vulnérables. Finalement, nous comptons beaucoup plus sur les campagnes scolaires et la formation des jeunes entre-eux que sur de vastes intentions de prévention.

V B : En prévention familliale, l'Islam conseille t-il le préservatif ?

Dalil Boubakeur : Il s'agit d'une question cruciale. L'Islam tolère le préservatif mais dans le cadre de la famille ou pour éviter la transmission d'une maladie, non-liée à une MST, ou pour la contraception. A partir du moment où le préservatif est utilisé dans une relation exogamique, cela est illicite.

V B : Peut-on parler d'une éthique musulmane de la sexualité ?

Dalil Boubakeur : L'Islam est une religion extrêmement proche de la nature humaine. L'Islam ne connait pas l'abstinence. Ce que Dieu nous a donné est légitime. Le mariage est une joie dans l'amour conjugal pour former cette intilité devant Dieu et devant les hommes. C'est une source d'accomplissements. On construit une vie à deux et la relation sexuelle se développe. Ce n'est pas la relation sexuelle qui est au centre de cet amour mais l'union de deux êtres en vue d'un projet procréatif.

L'orthodoxie de l'Islam reconnait la sexualité comme un des impératifs humains, mais sans aller jusqu'à en faire un centre où se joue la vie psychique. Mais le religieux, par libre choix, peut s'abstenir de tout et se consacrer à une vie contemplative, comme le propose par exemple le soufisme ou d'autres courants mystiques. L'Islam permet la satisfaction d'une pulsion fondamentale de l'être humain. C'est de la nature de l'homme d'avoir une capacité polygame. Il sera monogame par raison en s'élevant contre sa nature impulsive. La monogamie de la femme et la polygamie de l'homme sont indiquées dans le Coran mais limités et encadrés.

Par libre choix et par la nature des choses, il est souhaitable que l'homme et la femme trouvent un terrain d'entente dans la monogamie.

 

 

Sauf indications contraires photos et textes Tombelalune/Vincent Bodic. Vous pouvez les utiliser sans problème mais merci de me le signaler [Mail].

 

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